Ancien chef d'état-major de l'armée au Sénégal, Lamine Cissé, 71 ans,est, depuis le 1er février 2010, l'envoyé spécial de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) en Guinée-Conakry.
En quoi consiste votre mandat en Guinée-Conakry?
La Cedeao m'a demandé de faire une évaluation du secteur de la sécurité dans ce pays qui soit à la fois "situationnelle" - comment les populations guinéennes perçoivent la sécurité et ce qui, pour elles, devrait changer - et "institutionnelle" - comment sont structurées les institutions chargées du secteur de la sécurité, leur mode de fonctionnement, les rapports entre elles... Pour cela, je dispose d'une équipe de quinze experts dans des domaines tels que l'armée, la police, la gendarmerie, la justice, la société civile... Nous rendrons nos conclusions au début de mai. Le but est de mener une réforme qui amène un changement des mentalités et des comportements afin que la Guinée dispose enfin d'une armée républicaine. Notre mission coïncide avec une période de transition politique, qui prendra fin avec les élections prévues le 27 juin. Par conséquent, nous insistons aussi pour une parfaite sécurisation du scrutin.
La réforme de l'armée en Guinée-Bissau, où se produisent régulièrement des putschs et coups d'Etat, n'est-elle pas plus urgente?
Bien sûr qu'il y a urgence, mais un processus de réforme du secteur de la sécurité est déjà en cours dans ce pays, même s'il rencontre certaines difficultés. La Guinée-Bissau a grandement besoin d'une telle réforme, ne serait-ce que pour faire face au trafic de drogue. Sinon, les populations continueront à souffrir.
Quel rôle les forces de sécurité et de défense joueront-elles en Côte d'Ivoire au moment des élections?
Si l'on doit aller à des élections en Côte d'Ivoire sans un désarmement total au préalable, il faut déterminer si des armes risquent d'être utilisées contre les forces de défense et de sécurité chargées de sécuriser le scrutin. Si la réponse à cette question est oui, il y a deux options : soit il faudra se résoudre à voter seulement dans une partie du territoire, et confirmer ainsi le partage géographique du pays, soit on devra procéder à une sécurisation musclée. Cette dernière hypothèse implique de disposer d'un armement capable de neutraliser les armes en circulation avec, bien sûr, le risque que les élections soient accompagnées de multiples incidents susceptibles de créer des contestations, des crises et peut-être des conflits. A mon sens, il serait préférable de privilégier une stratégie intermédiaire, ce qui revient à intervenir dans les zones où il n'y a pas eu de désarmement des forces "intégrées", pour lesquelles il n'y aura ni frontière ni limite.
Que faire pour lutter efficacement contre les nouvelles menaces que sont la drogue et le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne?
Depuis quelques années, le point d'entrée de la drogue en Afrique se trouve être le Sénégal, la Guinée-Bissau, la Guinée-Conakry, la Mauritanie et la Gambie. Ces pays sont aussi des pays de consommation de drogue dure et, pour certains, des producteurs. Accompagnée d'autres trafics illicites, cette drogue parcourt toute la bande jusqu'au Darfour. Elle traverse la Méditerranée pour se retrouver en Europe et aux Etats-Unis. En plus des Etats de la Cedeao, tous les Etats de la Censad (Communauté des Etats sahélo-sahariens) sont touchés. Dès lors, cette organisation sous-régionale devrait être au centre du dispositif visant à lutter contre ces trafics. Je pense sincèrement, pour ma part, qu'il faut dépasser les problèmes de leadership, lorsqu'il s'agit des intérêts supérieurs de nos pays.
Interview réalisée par Christine Holzbauer
Source: L'Express (04/05/2010)
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