De la Guinée-Bissau, il est rarement question dans les médias. Et lorsqu’on en parle, c’est plus souvent pour les mauvaises raisons: troubles au sein de l’armée, coups d’État, assassinats politiques, hausse du trafic de drogue.
En écho à l’exaspération généralisée parmi les donateurs, l’Union européenne (UE) vient d’annoncer sa décision de retirer d’ici au 30 septembre la petite équipe qu’elle avait envoyée en Guinée-Bissau en juin 2008 afin de soutenir la réforme du secteur de la sécurité. Les Nations Unies se retrouveraient seules en soutien des réformes de l’armée, de la police et de l’appareil judiciaire dans l’un des pays les plus pauvres de la planète.
Antero Lopes, responsable de la réforme du secteur de la sécurité (RSS) au Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Guinée- Bissau (UNIOGBIS) est persuadé de la nécessité de relever ce défi, malgré d’énormes difficultés. “Les problèmes en suspens de la réforme du secteur de la sécurité risquent de fragiliser la stabilité du pays”, confie-t-il à Afrique Renouveau.
Il est possible cependant que l’ONU ne soit pas trop longtemps la seule à tenter de résoudre ces problèmes. Le gouvernement s’est récemment déclaré favorable à la présence d’une “mission de stabilisation” chargée de prévenir de nouveaux affrontements armés (nombreux depuis la guerre civile de 1998–1999). Une telle mission, affirme Soares Sambu, porte-parole du Conseil de la défense nationale, serait composée de membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de l’Union africaine (UA), et de la Communauté des États lusophones.
L’annonce du gouvernement est en phase avec la déclaration du 22 juillet du président du Conseil de sécurité de l’ONU qui appelait les autorités de Bissau et la communauté internationale à “coopérer avec la CEDEAO afin d’établir un mécanisme capable de garantir la sécurité des institutions civiles publiques”. Reste à savoir si la toute-puissante armée nationale approuvera la présence d’une telle mission.
Mutineries et assassinats
En plus de la guerre civile de la fin des années 1990, la Guinée-Bissau a connu de nombreuses crises depuis son accession à l’indépendance, en 1974, au terme d’une longue insurrection contre les colonisateurs portugais. En 2009, le président Joao Bernardo Vieira, et Baptista Tame Na Wai, chef d’État-Major de l’armée, ont été assassinés en l’espace de quelques heures, dans des circonstances jamais élucidées.
En avril, le nouveau chef d’État-Major de l’armée, José Zamora Induta, a été évincé à son tour dans une mutinerie menée par son adjoint de l’époque, Antonio N’djai. Il est toujours en détention. Le 24 juin, le Président Malam Bacai Sanha a nommé M. N’djai nouveau chef d’État-Major. Cette nomination a été dénoncée par la CEDEAO, l’UA, l’UE, les États-Unis et d’autres parties intéressées comme une violation de l’état de droit, et a incité l’UE à retirer son soutien à la mission d’appui à la réforme du secteur de la sécurité.
“Ces récents développements, estime Joseph Mutaboba, Représentant du Secrétaire général de l’ONU en Guinée-Bissau, laissent penser que le pouvoir civil de ce pays n’exerce pas encore sa pleine autorité sur l’armée.”
“La Guinée-Bissau est malade de son armée, qui administre en fait le pays depuis l’indépendance, affirme pour sa part Teresa Lima du service lusophone de la BBC. Pour Laurent Correau, journaliste à Radio France internationale “une relation incestueuse prévaut entre la sphère politique et l’armée”. A son avis, les liens tissés depuis de longues années entre le principal parti politique — le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC) et l’armée ont donné à celle-ci les moyens d’imposer sa volonté depuis des dizaines d’années.
“Les forces armées ne se cantonnent pas à la défense du territoire, précise M. Correau. Elles prennent également part à tous les aspects de la vie politique. La place qu’elles occupent dans ce pays est disproportionnée, problématique et anormale.”
Depuis quelques années, la Guinée-Bissau est devenue une plaque tournante de la contrebande de cocaïne qui arrive d’Amérique latine à destination de l’Europe. De nombreux observateurs estiment que les problèmes au sein de l’armée reflètent l’influence croissante du trafic des stupéfiants et du crime transnational organisé à l’intérieur au sein des différents organismes publics. Plusieurs officiers supérieurs sont soupçonnés de participer au commerce de la drogue. Afrique Renouveau a appris que des officiers de haut rang n’accepteraient la présence d’une mission étrangère en Guinée-Bissau qu’à condition que son mandat soit très limité.
D’après une évaluation de l’UE, l’armée compte 4 458 hommes, dont un nombre démesuré d’officiers, 1 800 au total. En fait, le nombre total de militaires serait d’environ 10 000 hommes, en comptant les anciens combattants, fait remarquer le correspondant de l’agence France-Presse, Allen Yero Embalo.
Réforme “de la base vers le sommet”
La principale difficulté consiste à mener à bien des réformes dans un pays où les autorités civiles rendent des comptes aux généraux. D’après Samuel Gahigi, spécialiste principal des questions politiques à l’UNIOGBIS, l’ONU estime possible “de mettre en œuvre des projets à petite échelle conçus pour améliorer les conditions de vie et de travail quotidiennes des militaires, des policiers et des juges. Il s’agit en fait d’une approche qui partirait de la base au lieu de mettre exclusivement l’accent sur les officiers de haut rang. Et à ceux qui souhaitent abandonner les efforts de réforme M. Gahigi répond : “En livrant la Guinée-Bissau à son sort, nous courrons le risque de voir la situation actuelle s’aggraver, avec un impact possible sur la stabilité de toute la sous-région”.
Pour sa part, M. Lopes, responsable de la réforme de la sécurité à l’UNIOGBIS, estime que la consolidation du secteur de la sécurité devrait être abordée de manière globale, pas seulement en se fiant aux nominations. Tout en reconnaissant la fragilité des institutions, il est persuadé que les réformes bénéficieraient du soutien politique nécessaire pour peu qu’elles soient décidées par les autorités du pays. Et de citer la récente inauguration d’un nouveau “modèle de poste de police” à Bairro Militar, dans le cadre du programme de réforme du secteur de la sécurité public. La présence d’une force de police communautaire permet aux officiers d’assumer aussi la tâche d’«acteurs sociaux”, ajoute-t-il.
L’ONU accorde désormais une attention prioritaire à la mise en place d’une approche plus holistique aux réformes du secteur de la sécurité, en coopération avec la CEDEAO, l’UA, l’UE et autres parties intéressées. “Ils pourraient investir dans la reconstruction des institutions étatiques, affirme M. Gahigi, mais aussi à aider à répondre, de manière plus efficace, au défi de la criminalité transnationale organisée et du trafic des stupéfiants”.
Par Damien Bonelli
Source: Afrique Renouveau (08/09/2010)